En tant que rédactrice, je me tiens assez près du desk pour avoir un œil sur ce qui s’y passe, mais heureusement assez loin pour devoir corriger les correspondants. La preuve en image.
Un matin au bureau, notre éminent chef, habituellement cloîtré dans sa cage de verre, se lève de son fauteuil et pénètre dans l’enceinte de la rédaction. D’un air déterminé, il traverse la pièce avant de s’arrêter net devant ma consœur secrétaire d’édition et stagiaire d’été issue d’une grande école de journalisme au-dessus de Paris.
Le très sérieux chef expose le problème. Une adjointe à la culture d’une petite commune de Poitou-Charente est en train de devenir la risée du web. Sur une photo prise à une inauguration, des commentateurs moquent les soi-disant oreilles de lapin de l’élue.
Impossible. La collège SE se défend. Sur le papier du correspondant, fautes d’orthographe, tiraille : jusqu’aux insécables, tout a été vérifié. Et sur la susdite photo, il suffit de regarder le journal, en noir et blanc. Que dalle! Niet! Tout au plus, ce qui ressemble à des traces sur un panneau placé juste derrière la tête de l’élue…
Retour à la case départ pour le big boss. Sur la photo en couleur, quelque chose cloche. C’est vraiment rose et blanc, quoi. Perplexe, il pianote sur son téléphone le numéro du service photo. A l’autre bout du fil, on imprime, on zoome dans tous les sens sur l’image. Les oreilles apparaissent alors comme rapiécées, rajoutées, pixelisées… Bingo, photoshopées! Le service photo est catégorique. Dans l’histoire, c’est soit la petite SE, soit le corres’ qui se paye la tête du chef. Celui-ci raccroche et revient à la charge mais la SE persiste et signe : jamais, elle n’aurait fait de farce au canard. Plutôt sage et consciencieuse, elle est rapidement mise hors de cause.
Au tour du correspondant de s’expliquer. Il se confond en excuse mais assure n’y être pour rien. Pas même ses petits enfants, il le jure, auraient pu lui jouer un tour. Difficile de douter de la parole du retraité et ex-banquier : les blagues, c’est pas vraiment son genre.
Pendant ce temps, à la rédaction, on cogite. Un SE expérimenté demande au correspondant de lui envoyer le manuel de son appareil photo. Le jour de la fameuse inauguration, celui-ci se rappelle avoir emprunté un compact numérique à sa fille.
Sur la notice explicative, le coupable est enfin démasqué : un mode de prise de vue qui permet l’ajout instantané d’oreilles à la Bugs Bunny. Au corres’, à la SE ou au service photo sensé contrôler le cliché : dans l’histoire de ces oreilles de lapin, le pire est qu’on ne sait pas vraiment à qui refiler le bonnet d’âne.
Hélène F.